Résumé de l’intervention du Dr Sébastien ABAD à l’Université Populaire Edgar Morin
En tant que président de la jeune association NAULIMUS, j’ai eu le privilège de participer aux échanges qui ont eu lieu lors de l'université populaire Edgar Morin Acte III. Le thème en était les vulnérabilités. Notre présentation portait sur les bénéfices attendus d’un recours à la complexité dans la prise en soin de la souffrance existentielle, tout particulièrement en médecine palliative.
L’association NAULIMUS est née d’un constat. Nous exerçons depuis des années au plus près de patients parmi les plus vulnérables et difficiles à soulager : patients douloureux chroniques dits réfractaires, patients au terrain de haute sensibilité, patients complexes en soins palliatifs, patients pris en soin en psychiatrie hospitalière… Nous n’avons cessé de réfléchir aux leviers qui pourraient nous permettre d’être plus efficaces ensemble. Abord du poids des mécanismes interprétatifs soi(-gnant/-gné), exploration d'une incertitude polymorphe (qui sera bientôt l'objet d'un enseignement universitaire) ou encore nouvelle cartographie de cette terra incognita du soi, dite cartographie expérientielle des entités de soi(s).
Quel point de départ à cette cartographie ? Comment passer de la « simple » relation duelle à cet univers d’entités intermédiaires, dialogiques, voire aporiques ? Soi vit l'expérience d'être soi. Et c’est la seule dont il peut se dire « certain »… ou pour le moins est-ce la moins incertaine de toutes. Dont acte. Ou bien l'autre en fait partie « intégrante » comme un élément de son paysage, ou bien cet autre est un soi « identique » qui partage cette singularité (sic) quand « le premier » soi devient de facto son autre. Et pour concilier les deux, en indécidabilité, soi se doit alors d'être un ensemble et en même temps une partie de cet ensemble. C’est alors que l’espace propice à l’inscription phénoménologique se « creuse ». Il devient le terrain d’une nouvelle clinique. Une clinique où la symptomatologie n’est plus portée par le seul soigné, mais s’avère commune et partagée par soignant et soigné. Cela semble peu de choses… mais cela change tout.
Nous n’avions cessé, disions-nous, de réfléchir aux leviers qui pourraient nous permettre d’être plus efficaces ensemble. Quel point commun sinon la complexité. Une complexité organisée et transdisciplinaire. Une complexité organisée avec ses méthodes (consultation en trinôme avec le soigné et construction d’un tableau relationnel partagé), son territoire d’incertitude(s), son champ relationnel (entités de soi(s) onto-critique), et ses outils en cours d’élaboration.
Une complexité universitarisée ? Une « médecine de la complexité ». Après avoir défini un troisième acte à la santé, la santé anamorphique, nous avons abordé les grands axes de ce que serait cette médecine. En aucun cas une nouvelle spécialité, au sens restrictif et grégaire du terme, mais une « discipline transdisciplinaire », puisqu’offrant justement un territoire ad hoc à l’interdisciplinarité. La médecine de la complexité romprait avec la médecine complexe réduite à une complication souvent instrumentalisée. En aucun cas une surspécialité, mais une approche transversale et distributive. Elle répondrait à Paul Valéry, se rapprochant d’un réel en n’ayant que faire du vrai pour se concentrer sur les conséquences phénoménales de cette proximité. L’interprétation du clinicien est un mal nécessaire mais qui ne doit pas être la seule proposition. La médecine de la complexité refuserait le réductionnisme conséquentialiste. Elle s'offrirait la possibilité de se laisser surprendre et de faire des découvertes (sérendipité). Elle enseignerait et étudierait l'incertitude en santé. Elle oserait franchir l’interdit conceptuel d’un accès à l’événement, à la greffe narrative, à un espace post-anamorphique où se déploieraient les entités de soi(s), autant de modélisations ne se confondant pas avec le réel ou son approche, mais offrant un élargissement des champs. Elle accueillerait un autre abord préventif du burn-out des soignants. Elle refuserait la doxocratie, la « dict-ego-cratie » qui refuse l’autonomie collective au profit d’une autonomie atomiste et individualiste, et s’inscrirait de facto dans un pacte républicain fort dépassant la sphère de la santé.
La médecine de la complexité est en train de naître. Beaucoup de choses restent à faire. N’hésitez pas à soutenir ce projet qui n’a d’autre fin que de soulager toujours un peu plus celles et ceux qui souhaiteraient souffrir un peu moins.
Dr Sébastien ABAD