Billet de mars 2023 - le bastion

NAULIMUS dispose enfin de son site internet. Ce site est le vôtre et nous serons ravis de vous y retrouver le plus souvent possible. Vous y trouverez des articles originaux, des actes de colloques, des propositions de rencontres et d’organisations de groupes de travail, des propositions de webinaires... de quoi alimenter collectivement la réflexion à propos de la place de la pensée complexe en santé. La pensée morinienne certes, évidemment, mais pas seulement...

 

Et si la complexité en santé, une complexité rendue accessible, était l'un des derniers bastions pour une vulnérabilité de nouveau légitime et restituée comme fondamentale au sein des mécanismes évolutifs ? En aucun cas masochiste ni doloriste. En aucun cas instrumentalisée comme faire-valoir. Une vulnérabilité pouvant certes s'effondrer mais dans autre chose qu'une extinction pour seule échappatoire à la souffrance.

Un dernier bastion alors que les assauts de la normativité par la réduction et la contraction se multiplient.

En effet, si avec l'approche biopsychosociale la pensée réductionniste devait marquer le pas, cela semblait avoir été tout au plus un leurre. Cette réunification somato-psychique et anthropo-socio-individuelle ne faisait que renforcer la puissance de son complémentaire, car qui ne souhaiterait s’enorgueillir d’avoir un terrible adversaire à combattre ? La division demeurait. Plus forte que jamais. Et cela sur un fond d'autonomie minimaliste relue à l'aune d'un libertarianisme où le Droit remplace le Devoir kantien, un droit de vivre et de mourir malgré l'autre. La division encore et toujours.

Il fallait toujours faire plus simple, plus concis, plus direct, plus intelligible. Le niveau d’exigence devait être abaissé à la capacité de compréhension d’une étrange et rassurante entité qu’on appelle « le public ». Les articles devaient être courts. Très courts. Les sujets de recherche ne porter que sur une seule et unique question qui soit la plus abrégée possible. Haro sur l’ambiguïté. Haro sur l'effort littéraire. Les réponses devaient être simples et le plus possible reproductibles auprès du plus grand nombre.

Personnes douloureuses chroniques avec terrain de haute sensibilité, patient.e.s en soins palliatifs présentant une souffrance existentielle envahissante, personnes en situations de handicap sévères. Homogénéiser tout en reconnaissant la singularité et non l’inverse. Surtout pas.

Un dernier bastion alors que, par exemple, l’aide active au mourir qui pourrait être une réelle avancée si elle s’avérait exceptionnelle - une possibilité qu'on décide de s'interdire - semble faire peser un risque majeur pour les plus vulnérables. Ceux-là mêmes qui, témoignant de leur lassitude à combattre leurs contempteurs se verront proposer le silence. Des populations vulnérables déjà mises à mal dans un système de santé en crise. Quand quelqu'un hurle de douleur est-ce qu'on essaie de le faire taire par tous les moyens ou est-ce qu'on doit chercher à (le) comprendre pour mieux le soulager ?

 

Non la pensée complexe en santé n’est pas une nouvelle usine à gaz. Elle est la considération de la réalité d’un tissu relationnel en attente d’investigations, un tissu qui devient support d'une syndromique partagée en lieu et place de la personne soignée livrée à elle-même, un nouvel organe qui ouvre des perspectives à celui ou celle qui se croyait destiné à attendre. Attendre et espérer la mort pour seule réponse à la culpabilité de voir souffrir les siens, à la peur de souffrir, au dégoût de ne plus être ce que l’on croit avoir été. Attendre que son fils sorte la tête de l’eau. Endurer sans pouvoir échapper aux coups.

Le raccourci confondu avec l'efficacité elle-même confondue avec l'optimisation. L'impasse.

Il ne s’agit pas de choisir un camp ni de s’opposer, mais bel et bien de proposer plus qu’une alternative. Il s’agit de préserver la santé du parti pris, de lui rendre une universalité profondément ancrée dans le cas particulier qui n’est pas l’appartenance à un groupe culturel ni une "crypto-autonomie" nombriliste . Ne pas réduire le débat à un "pour ou contre", mais être une véritable force de proposition à part entière, qui aurait émergé avec ou sans ce qui semble l'avoir rendu nécessaire. Ne pas confondre conditions d'émergence et cause. De cause il n'y en a en réalité aucune à notre présence, et lesdites conditions seront notre première exégèse.

Envisager plus qu'une alternative a la relation duale en ce monde. Non pour chercher à échapper à la réalité et à son implacable principe, mais pour l'y faire résonner. Nombre de cultures ont déjà envisagé la présence d'entités invisibles à leurs côtés, qu'il s'agisse d'esprits, de déités, d'ancêtres ou encore de techno-aliens. Y associer "autre chose" du même acabit demeurerait encore trop simple. Il serait déjà plus intéressant et subversif d'envisager une déconstruction suivi d'une reconstruction de la personne. Mais nous ne nous arrêterons pas là. Le phénomène même de (dé-)con-)structuration peut être passé au crible de la complexité. D'une complexité singulière. C'est ce que nous proposerons.

La facilité consisterait à citer Nicholas Klein, citation qu'on a parfois voulu attribuer à Schopenhauer : « D’abord ils vous ignorent. Puis ils vous ridiculisent. Et alors ils vous attaquent et veulent vous jeter au bûcher. Et enfin ils construisent des monuments en votre honneur ». Nous ne cherchons pas les honneurs. Ils seraient le signe manifeste de notre échec.

 

Un bastion. Un bastion pour se défendre. Un bastion pour défendre. Un bastion pour répliquer. Un bastion pour servir de colonie et d'incubateur à l'innovation. Un bastion pour reconstruire ce qui n’a même plus besoin d’être détruit.

 

Sébastien Abad pour NAULIMUS


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D’aucuns s’arrêteront au caractère « compliqué » de quelque chose qui reste difficile à saisir, quand d’autres insisteront sur la notion de « relations » nombreuses et diversifiées, intriquées et interdépendantes entre des éléments qui s’inscrivent dans une totalité et inscrivent un tout. C’est ce sens qui est à la base des réflexions de ceux qui cherchent à rendre compte d’une pensée tissée, une pensée complexe.