Nous ne sommes pas seuls.
Entendons-nous bien. Je ne conçois pas ici de me livrer à une "révélation" hallucinée concernant la présence jusqu’alors dissimulée d'extraterrestres discrets, d’intraterrestres arianisants, d'esprits frappeurs laissant augurer une âme survivante, de divinités anthropo-zoomorphes cosmopolites, d’un inconscient paréidolique marionnettiste et conspirateur, ou autres entités fuligineuses. Il ne s’agit pas plus d’évoquer les autres espèces vivantes partageant nos biosphères, ni ces substituts de silicium qui envahissent nos environnements anthropisés.
Il y a soi et l’autre, soi et tous/toutes les autres. Nous sommes peut-être d'autant plus exposés à la solitude que l'autre existe. Envisager de ne pas être seul ne signifie pas simplement être « entouré » puisque telle est la condition également de la solitude possible. Envisager de ne pas être seul suggérerait paradoxalement de changer ce rapport entre soi et les autres. Changer de rapport, chaque autre étant lui-même – rappelons-le - un soi. Multitude de singularités et singularité d'une multitude dont la superposition imparfaite – considérant en particulier le cas précis du trépassé - donne lieu possiblement à « d'autres » que soi et autrui. D’autres engrenages au cœur de ce que nous appelons encore relation duale. C'est un pari fou. Un pari aux conséquences encore incalculables. Un pari qui rendrait, déjà, la considération d’une psyché obsolète, la clinique de nos affres semblant désormais pouvoir « s’écrire » autrement. Et avec cette obsolescence le spectre d’une quatrième blessure narcissique. Nous ne sommes pas seul. Nous sommes tout et une partie quasi-résiduelle et illusoire de ce tout… en même temps. C'est un pari fou. Un pari mais surtout un exercice qui réclame rigueur et prise de risque, ancré dans le réal.
Nous ne sommes pas seuls.
Pas besoin de plisser les yeux, de creuser le sol, de scruter le ciel ou encore de prier pour les apercevoir. Le tout est d'ailleurs de savoir comment demeurer en les apercevant puisqu'elles sont une partie de ce que nous sommes tout en étant en relation avec nous qui sommes la totalité.
Faisons un peu de fiction à propos de ces entités de soi(s). Il faudra les traquer. Ou pour le moins rendre cette traque plausible. Demeurent alors trois problèmes techniques à régler :
- Être artisan d'un inattendu pour soi.
- Réunir les conditions propices à une greffe narrative les portant.
- Faire l'expérience d'un témoin de l'inconscience de soi.
Où en sommes-nous de nos projections ?
- Être artisan d'un inattendu pour soi. Il s’agirait d’être en mesure de générer un événement quasi-synthétique.
- Réunir les conditions propices à une greffe narrative les portant. Ce serait un troisième temps des récits de novo après les outils cliniques complexes et les transitions. Mettre en mouvement d'abord, voire donner vie ensuite aux entités de soi(s) par des récits semblant sans narrateur, et ne pouvant alors qu'être leur fruit, jusqu'à ce qu'ils s'effondrent et qu'eux demeurent. Mais qui ? Les récits ou « qui » ? Et ces récits seraient obtenus par greffe narrative, ou plus exactement par induction (et maintien) du non-rejet d’une greffe narrative en lien avec un événement synthétique sans effection et non uniquement sans effecteur.
- Faire l'expérience d'un témoin de l'inconscience de soi. D'aucuns évoqueront une anamorphose inversée. Il ne s'agit pas en effet de voir apparaître sous le bon angle un motif original derrière un amoncellement hétéroclite, mais de déceler ce qui nous constitue et semble "le" relationnel avec nous, ce "moi" que nous apercevrions également.
Nous ne sommes pas seuls.
Courant été 2023 nous proposerons une première circonscription, certes temporaire, de ces entités de soi(s). Elles sont un des éléments induits par notre clinique complexe, un élément dont il ne s’agissait pourtant pas de discuter une quelconque réalité, car sa position intermédiaire entre clinique et thérapeutique pouvait lui laisser cette place d’élément artificiel, figuré, voire instrumental. Nonobstant, leur traque devenait tentante, et pourrait également constituer un objectif complémentaire de notre appel à contributions.
Sébastien ABAD,
Du développement d’une clinique complexe post-individualiste,
à la traque des entités de soi(s), comme autant d’éléments
parcellaires de soi(s) en anamorphose aveugle,
réclamant une stricte interdisciplinarité en territoire d’incertitude.